Un Zèbre à Paris, ou l'Histoire de mes entretiens d'embauche...

Publié le par petitparisentreamis

Je me souviens d'un de mes premiers "vrais" entretiens... J'avais 19 ans, et j'avais réussi un peu par hasard l'écrit d'une grande école de commerce* . Convoquée pour l'oral à Paris, je suis donc partie en quête d'un tailleur improbable chez Zara... Bon sang mais qu'est-ce qui m'a pris ce jour-là (à mettre sur le compte de la jeunesse et de l'influence néfaste de la rue Saint Ferreol...) : pantalon blanc + haut "vert d'eau" + veste rayée jaune/vert d'eau/blanche/et je crois même qu'il y avait une bande gris bleu... Hum.

Fière de cette acquisition, je débarquai donc à Paris, dans un hôtel en face de l'école, avec mon papa en accompagnateur (ben oui, j'étais pitite... et puis bon, à l'époque, dans mon esprit, Pâââris = Jûûûngle...!).
Cette nuit-là, mon père ronflant de manière excessivement bruyante, j'ai dormi enroulée dans ma couette, tapie dans le couloir de la chambre... Un bonne mise en condition... Le lendemain matin, fraîche comme un gardon espadon et emplie d'une confiance toute juvénile, je sortais sur le boulevard, prête à conquérir Paris...

Evidemment, et c'est là que Pââris entre en jeu : il se met à pleuvoir. Phénomène tout à fait inconcevable, en plein mois de juin, dans mon imaginaire méditerranéen. Et c'est là que, cadeau du ciel, le tailleur blanc rayé s'est paré de ses plus beaux reflets... Imaginez le mélange d'un zèbre et d'un léopard, multicolore, et pour ajouter au raffinement, avec des zones de transparences là où l'eau avait pénétré le tissu. Et oui, c'est là que j'ai compris pourquoi le parisien a toujours un parapluie sur lui + s'habille prioritairement en couleurs sombres : chez lui, c'est, potentiellement, toujours l'hiver. Et aussi, blanc + métro = no no no !

Bref, pas découragée pour autant, je pénètre dans l'enceinte de l'établissement, et là... je suis comme le zèbre au milieu des pur-sangs... Seule, très seule... Tout le monde est en tailleur noir, chaussures noires, de temps en temps, comble de l'excentrisme, une chemise bleu pâle ou rose layette tranche avec le décorum de funérailles. Bref, courage little Betty ! (oui, avec le recul, je me dis que seule Ugly Betty aurait pu me comprendre à l'époque...)

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Je passe rapidement sur les commentaires intentionnellement déstabilisants des candidats qui attendent leur tour dans le couloir (on croit que c'est que dans les films, mais non non !!). Avant l'oral de culture G, une fille qui relit ses fiches : "Hmm t'as bien révisé la crise de Cuba j'imagine?". "Euhhh... ben euhh... pas spécialement, pourquoi?". Silence. Regard de la mort genre "Mais d'où tu sors toi...?". Autre exemple, le très sympa : "ah t'es dans le jury 2... y a mon prof de philo dedans... ben tu vas en chier ma pauvre, c'est un coriace... ouais, autant te dire tout de suite que tu vas bien ga-lé-rer..." . "Ouais bon ben ça va je crois que j'ai compris là !!!".

En réalité, tous mes oraux se sont plutôt bien passés, jusqu'à... l'entretien de motivation. Aaaah la sacro-sainte épreuve de l'école de commerce ! Autant dire que j'y suis allée en touriste, sans rien connaître des figures imposées de l'exercice... D'où mon étonnement quand, survolant mon CV, le "professeur en marketing stratégique" me lance (je repense à combien cet intitulé m'avait impressionné à l'époque... j'imaginais LE mec qui tire les ficelles de l'univers...) : "Je vois que vous avez travaillé au Crédit Agricole... Qu'avez-vous pensé du management du Crédit Agricole ?". Hahaha, je revois ma tête, j'ai trop dû leur faire pitié... J'ai répondu, candide : "Du management ? Ben euh... j'sais pas trop... en même temps j'ai juste travaillé au guichet, un été, comme ça...". Grand silence méprisant. (moi me demandant pourquoi cet imbécile me pose une question aussi stupide, et plutôt perplexe quant à ce que j'ai bien pu dire de mal à l'instant...).

En conclusion, j'ai bien évidemment foiré cet entretien, que, à l'époque, je n'ai pas du tout pris comme un jeu, et que j'avais - bêtement sûrement - imaginé comme une discussion normale avec des adultes normaux. Ah, je crois que j'ai eu droit aussi à : "Qu'appelez-vous concrètement l'évènementiel", auquel j'ai misérablement bredouillé un "Et bèè, le fait d'organiser des évènements et euhh... par exemple des festivals... ou euhhh... enfin pour faire connaître un évènement...".

AAAAAHHHH !!! Bon sang c'est loin et c'est tant mieux !!

Alors pourquoi est-ce que j'en parle aujourd'hui me direz-vous ??
Et bien... c'est parce qu'on croit aujourd'hui maîtriser les codes, on se dit "héhé... on ne m'y reprendra plus...". On arrive 20 minutes à l'avance, impeccable, petit moleskine pour noter ce qui se dit pendant l'entretien, tic tac en poche, winner attitude... Tac tac j'imprime le plan sur Google Maps (oui ok, j'ai pas de smartphone...), je vais même sur Google Street View (pour "visualiser" la scène), la veille je potasse le site internet de l'entreprise, je réfléchis aux questions pièges, je prépare mon petit speech de présentation, repasse mon t-shirt... Bref, under control !!

Et ben... même en maîtrisant tout ça, le grand moment de solitude est là. Il vous guette, comme un enfant qui prépare une bonne blague, au moment où vous êtes la plus sûre de vous.
Ca se passe dans le hall d'une grande multinationale - oui monsieur - à Neuilly of course, et pourtant, cette fois, vous ne faites pas tellement tâche dans le décor. Vous prévenez de votre arrivée, on vous fait signe d'attendre et de vous mettre à l'aise. Vous vous imprégnez du décor, relisez votre lettre de recommandation pour vous donner du courage... Là, une jeune femme se dirige vers vous en souriant : "Bonjour, je suis Marie Duval ", et vous, vous répondez, sourire franc, poignée de main assurée : "Enchantée, Emilia L...". Vous vous dirigez toutes les deux jusqu'à l'ascenseur [bruit de talons sur le marbre blanc].
Vous êtes rassurée, elle a l'air sympa. Vous vous fixez bêtement en attendant que l'ascenseur arrive. Et là, elle jette un regard à votre badge "visiteur". Visiblement gênée, elle répète : "Euhhh.... votre nom, vous m'avez dit...?". Vous vous entendez répondre "Emilia L... ?".
Et là elle vous répond dans un grand éclat de rire, presque soulagée : "Ah ben non c'est pas vous ! Hahaha, désolée...! Mais non, ce n'est pas vous ".

... un ange passe ...

Le masque de winner est sur le point de se fissurer, mais vous retournez dignement attendre la "bonne" personne, avec une solennité que ne renierait pas Valéry Giscard d'Estaing.

Mais parce que vous n'avez plus 19 ans, parce que vous pensez au destin malicieux qui savoure sa blague, parce que, au fond c'est rigolo d'être un zèbre au milieu des chevaux, et ben... ça vous fait bien rigoler vous aussi !
Et vous vous dites que :
1) voilà de quoi dédramatiser  un entretien en 30sec chrono
2) voilà qui vous permettra d'être un peu moins tendue à la 2de poignée de main
3) quel que soit le résultat de l'entretien, en voilà une bien bonne à raconter...!


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EL



* que j'ai intégré, non sans fierté, quelques années plus tard, parce que non, il n'est pas né celui qui me dira non...! ;-)

Publié dans Entre nous...!

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A
<br /> J'ai bien aimé lire votre petite histoire d'entrevue d'embauche. Très divertissant. Votre expérience se rapproche de celle de plusieurs de mes visiteurs sur le site (comment réussir un entretien<br /> d'embauche):<br /> <br /> http://www.reussir-entretien-embauche.com/<br /> <br /> <br />
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E
<br /> @Laura : oui, à l'époque, notre philosophie avait été de dire "au moins comme ça, tu sortiras du lot"... hum...<br /> <br /> @Ana : exactement ! c'est pile ce que j'ai pensé quand j'ai vu la taille du hall en marbre (genre la réceptionniste qui te regarde du fin fond de la salle pendant que tu avances, genre pas<br /> stressant).<br /> Est-il besoin de signaler que ma talonnette s'était totalement pété en chemin ?(et donc que l'un de mes deux pieds faisait un bruit métallique sur le sol...)<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Ce que je déteste aussi pour les entretiens (entre autres choses parcequ'on peut passer des jours sur le sujet !) c'est que tu te mets en talons parceque bon quand même c'est classe et c'est plus<br /> joli, et qu'ils tu te plantes de chemin donc tu marches 3/4 d'h de plus que prévu (et là tu te dis j'aurais du prendre un taxi) et qu'en plus ils te font marcher 3 plombes dans les couloirs et tu<br /> repars avec l'impression de devoir te faire opérer des pieds !!!<br /> Ahhh, vivent les entretiens !!!<br /> <br /> <br />
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L
<br /> ah la la... je me souviens de cette veste...sur le coup ça me paraissait être une bonne idée...<br /> <br /> <br />
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